vendredi 15 janvier 2016

La Gibelote et autres essais (13 janvier 2016)


Robert Barberis-Gervais

La Gibelotte et autres essais  

  • Table des matières
  • prologue de Marcelle Viger 
  • tout en douceur
  • introduction: l'auteur se présente  
  •  
  • au lecteur comme dans Perdants magnifiques de Leonard Cohen
  • ce qui s'est passé au collège Germaine Guèvremont  
  • intermède: mise en contexte juridique; acteurs et actrices  
  • Confidences d'une femme trahie
  • Intermède: en vacances aux Eboulements
  • C'est la faute à Montaigne
  • Gibelotte
  • remarques sur le vocabulaire, les personnages et les circonstances
  • Epilogue
  • Conclusion: de l'insoumission, condition de la liberté
  • Lettres fictives de réactions à la Gibelotte et répliques du Littéraire
  • critique parue dans le journal local
  • Appendice
  • Chronologie et 21 documents
  • aires de repos
  • les vrais acteurs et actrices: noms propres
  • résumé long
  • résumé court
  • table des matières
  • l'auteur
  •  
  •  



prologue de Marcelle Viger
Ce prologue est une façon comme une autre de présenter un résumé de l'histoire vécue par le Littéraire et ses amis du syndicat des enseignants d'un collège de la Montérégie. Est-ce que l'auteure de ce prologue est fictive? C'est une question qu'on peut poser sans coquetterie théorique. J'ai fêté le 3 juillet 2015 mon 50è anniversaire de mariage. Je n'ai aucune raison de douter de l'existence réelle de ma conjointe. Sauf que je l'ai imaginée en train d'écrire ce prologue qu'elle n'a pas écrit elle-même. La conjointe qui signe ce texte est donc fictive. Peut-être serez-vous intéressé à savoir que je ne suis pas nominaliste. Je compte sur le lecteur ou  la lectrice (je ne vous oublie jamais mesdames…) pour établir le rapport entre les mots et le réel.

Mon cher Littéraire,
Tu m'as demandé d'écrire un mot d'introduction à ton sixième livre. Après "De la clique des Simard à Paul Desrochers… en passant par le joual" (1973), "Ils sont fous ces libéraux" (1974), "La fin du mépris" (1978), "Les Illusions du pouvoir" (1981, (avec Pierre Drouilly dont je salue la mémoire), "La rencontre" (1988) qui est une partie de ta thèse de doctorat en création littéraire, voici "La gibelotte et autres essais".  Ce n'est pas une mauvaise idée car j’ai écouté jour après jour pendant sept ans, de 1997 à 2003, le récit de tes démêlés avec la  direction féminine de ton collège. Ces désaccords se sont corsés quand ces femmes cadres ont décidé d’intenter deux poursuites en diffamation de 80,000$ et 170,000$ contre ton syndicat et toi-même. Etait-ce une manière spécifiquement féminine de gouverner?  En tout cas, le mythe de l'empathie féminine en a pris un dur coup. Il faut croire que vous les dérangiez, qu'il fallait vous neutraliser et même de vous faire taire. J'ai trouvé ces femmes bien belliqueuses et bien maladroites.  Elles ne se rendaient pas compte de l'endroit où elles mettaient les pieds. Car vous avez été de rudes adversaires. C'était de piètres stratèges, trop émotives et pas du tout perspicaces. En tout cas, elles ont réussi à vous motiver. Et moi, j'attendais impatiemment ton retour du collège pour écouter tes récits saupoudrés de citation de Montaigne que tu connais bien.
Quand une poursuite n'a pas de fondements solides, on dit qu'elle sert à intimider et à faire taire un adversaire. On appelle ça une poursuite-baillon. Ces femmes de pouvoir pouvaient-elles gagner contre des coriaces et des pugnaces dont l'engagement syndical (et politique)  s’exprimait avec humour, culture, indépendance d’esprit et un panache digne de Cyrano de Bergerac. Toi et ton ami de St-Ours, vous aviez bien du plaisir quand vous vous rencontriez dans le local syndical pour choisir une citation dans les "Essais" de Montaigne. 
Certes, comme dirait René  Lecavalier à la soirée du hockey, il y a eu du stress et des tensions. Surtout à cause de certains enseignants qui manoeuvraient contre vous dans les assemblées syndicales et dans le département de français ou d'anglais. C’était une petite minorité.  Elle vous compliqua quand même la vie. Heureusement, l'écrasante majorité de vos confrères bien informée les neutralisa: ils durent piteusement battre en retraite. Ce sont les seuls passages amers du livre. Mais il ne faudrait pas dramatiser car, somme toute, vous vous êtes bien amusés. Et j’en ai été le témoin. « Je ne fais rien sans gaieté » a écrit Montaigne. Ce pourrait être votre devise. Avec cette autre règle de conduite exprimée par «to outfox», être plus malin que les adversaires avec le renard comme emblème.  
Certains collègues  partisans du double-emploi qui tenaient à augmenter leurs revenus en donnant des cours à l'éducation des adultes ont accusé le syndicat des enseignants d’aimer la chicane. Ils ont compris plus tard, avec les explications de ton ami Pierre Girouard, les enjeux de vos luttes et la nécessité de tenir tête. Comme l’a fait remarquer ton amie Andrée Ferretti à propos de controverses sur la  "Tribune libre" de Vigile, tu aimes la joute. C'est bien différent que d'aimer la chicane. Cela vient de ton amour du sport. Dans le sport, il y a une compétition, un gagnant et un perdant. Les perdants se consolent en disant que l'important, c'est de participer. Pour vous, ce fut une joute presque sportive que vous avez jouée avec le plaisir unique que donne un coup parfait au golf ou un roulé de quarante pieds pour un oiseau.
Lors de la lutte contre la privatisation de la cafétéria, à un moment donné, le Directeur de l’équipement a dit : « Arrêtez, elles n’en peuvent plus. » J’ai beaucoup aimé les citations qui accompagnent le récit. Je me souviens de cette citation de Montaigne dans un numéro du bulletin d’information syndicale appelé « l’Huissier » que j’ai devant moi:
« Nous devons la sujétion et l’obéissance à tous rois, car elle regarde leur office : mais l’estimation, non plus que l’affection, nous ne la devons qu’à leur vertu. Donnons à l’ordre politique de les souffrir patiemment indignes, de celer leurs vices, d’aider de notre recommandation leurs actions indifférentes pendant que leur autorité a besoin de notre appui ».
Pour vous, la directrice générale et l'avocate directrice des ressources humaines étaient indignes, vicieuses  et ne méritaient ni estime ni affection. Comme on dit au hockey: vous étiez agressifs. Vous y alliez fort avec de telles citations: vous étiez en guerre. Tu méritais bine le surnom de Littéraire. 
Suite à une plainte d’une étudiante adulte, quand la directrice, au début de son règne, t’a accusé d’être vulgaire, tu lui as demandé si la citation suivante de Montaigne était vulgaire : « Plus le singe monte haut dans l’arbre, plus il montre son cul. » Quand la chic bourgeoise de Ste-Anne-de-Sorel a répondu: « Non, ce n’est pas vulgaire », tu l’as accusée d’être snob et tu as ajouté : « Plus le singe monte haut dans l’arbre, plus il montre son cul. Et, directrice générale, ce n’est pas très haut dans l’arbre. » C’était une déclaration de guerre. Et bien, vous en avez eu pour votre argent : vos affrontements ont coûté 25,000$ au syndicat et 50,000$ au collège. Pour un petit collège d'environ mille élèves, c'est une grosse somme.
Et cette autre citation de «la Princesse de Clèves» où Madame de Lafayette ironise sur Catherine de Médicis qui est l’épouse d’Henri II qui a eu pendant vingt ans une maîtresse très voyante, Diane de Poitiers, duchesse du Valentinois, qui faisait la loi. « L’humeur ambitieuse de la Reine lui faisait trouver une grande douceur à régner. » Belle ironie envers quelqu’un que vous avez combattu pendant sept ans et que vous avez empêché de régner. La Directrice, vous l’appeliez « Sa Majesté la Reine » et vous aviez nommé son bureau : « le Carré Royal » du nom d'un parc au centre de de Sorel.  Pour désigner ses abus de pouvoir, le nom « d’Ubu Reine » est sorti de votre sac à malices. Il y avait de quoi rire dans les corridors et sa majesté, avec raison, ne décolérait pas. Elle vous voyait dans ses cauchemars. Elle n'était pas de taille: l'argent ne donne pas nécessairement du talent ou de l'intelligence. Il lui fallait l'aide d'un avocat retors  et des tribunaux dont on sait jamais à quoi s'attendre et qui sont d'une lenteur énervante. Ce faisant, elle ne respectait pas les règles du jeu syndical-patronal. Elle trichait par manque de fair-play.
J’ai particulièrement apprécié le chapitre intitulé:  « Les confidences d’une femme trahie » où toute l’histoire est racontée en respectant la chronologie et du point de vue de la directrice. On lit ça et on se dit que, peut-être, elle a eu raison de vous tenir tête. C’est le chapitre le mieux réussi qui se lit comme un roman. Je peux me vanter de te l'avoir inspiré car je préfère les romans à l'essai. D'ailleurs, tu aurais dû écrire tout ton livre comme ce chapitre. La directrice selon elle a été trahie par le Conseil d'administration du Collège qui, de guerre lasse, a cessé de l'appuyer.
Après ces poursuites injustifiées qui ne réussissaient pas à vous faire taire, vint le moment où la Directrice générale dépassa les bornes de la décence.  Un matin, tu t'es levé pour te rendre au collège. Tu as donné tes cours de littérature le matin et tu as mangé les sandwichs au saumon que je t'avais préparés. Puis, au début de ton cours de l'après-midi, deux femmes cadres sont entrées dans ta classe, ont interrompu sans avertissement ton cours devant tes élèves qui n'en croyaient pas leurs yeux et t'ont demandé de te rendre dans le bureau du Directeur des études.  Tu as immédiatement demandé au président du syndicat de t'accompagner. Le Directeur des études t'a expliqué que cette intervention était rendue nécessaire à cause d'une plainte.  On sait que la technique de la plainte est utilisée par une administration pour déstabiliser un employé.  La nouvelle de cette invasion dans ta classe de français se répandit dans le collège comme une traînée de poudre. 
Après le cours, à la cafétéria, tu as demandé à un élève ce qui s'était passé.  Les femmes cadres ont fait remplir à chaque élève un questionnaire. Voici le genre de questions qui étaient posées.  «Est-ce que votre professeur suit son plan de cours?» «Quand il s'adresse à vous, est-ce qu'il le fait avec respect?» «Est-ce qu'il critique la direction du collège?» «Qui vise-t-il exactement et que dit-il au juste?» «Est-ce qu'il donne des cours magistraux?» «Répond-il à vos questions?» C'était un questionnaire d'évaluation ni plus ni moins. 
Tu as appris que le même questionnaire serait passé dans tes deux autres classes le lendemain. Tu as passé une nuit blanche. Tu étais vraiment inquiet.  Le lendemain, tôt le matin, quand tu es arrivé au collège, une secrétaire t'intercepta et te demanda de te rendre immédiatement au bureau du Directeur des études. Celui-ci t'informa que le questionnaire ne serait pas passé dans tes deux autres classes. Pourquoi n'ont-ils pas suivi le plan initial?  Parce que les réponses colligées dans ta première classe permettaient de conclure que la plainte n'était pas fondée, que tes élèves t'appréciaient, que tu réussissais à leur faire aimer la littérature et que, somme toute, tu étais un bon professeur.   
Tu as demandé au Directeur des études de mettre cette évaluation élogieuse par écrit ce qu'il fit un peu plus tard.  Tu as appris par la suite que tes élèves s'étaient montrés agressifs avec les femmes cadres: «Mettez-lui donc des menottes la prochaine fois quant à y être.» «On vous avertit que si notre professeur n'est pas de retour en classe dès lundi, ça va barder.» Merveilleux élèves qui étaient solidaires de leur professeur et qui n'avaient pas fait volontairement de réponses compromettantes au questionnaire tendancieux qui leur fut soumis. Car ils auraient pu te nuire sans le vouloir. Mais tu leur avais quand même parlé de l'hostilité de la Direction du collège. Ils étaient donc au courant et ils comprirent le but du questionnaire. 
C'était vicieux comme démarche, une démarche que n'approuvait pas, au fond, le Directeur des études, qui recula juste à temps car les conséquentes auraient pu être fâcheuses pour là Direction.
Ce fut le commencement de la fin pour la directrice responsable de cette manoeuvre inacceptable envers un enseignant qui avait trente ans d'expérience. C'est à ce moment que le directeur des études qui avait été jusque-là soumis à toutes les demandes de la directrice eut un sursaut de conscience et la laissa tomber. Il se chercha un emploi ailleurs. Et il en trouva un dans l'Outaouais. Elle avait été trop loin dans le harcèlement et l'abus de pouvoir dans le dessein d'écraser son adversaire.  Cela se retourna contre elle.
Après cet étonnant faux-pas, tu racontes la lente chute de la directrice. Après une entente hors Cour, le Conseil d'administration du Collège cessa d'appuyer la directrice générale qui voulait exercer des représailles suite à un texte-bilan du conflit rendu public par le syndicat des enseignants. Il est vrai que la description des méthodes utilisées par ces femmes de pouvoir était dévastatrice pour elles. Cela se passait dans le royaume du "Survenant" et de Germaine Guèvremont qui fait actuellement au Biophare de Sorel l'objet d'une exposition encore plus belle que celle qu'on peut voir sur Michel Tremblay à la Bibliothèque et archives nationales du Québec rue Berri à Montréal. On peut y admirer une oeuvre d'art magnifique:  les six panneaux en acrylique sur bois gravé de Julie Lambert intitulés «Le Survenant, espoir et menace».  
Puissiez-vous, lectrice, lecteur, partager le contentement qui accompagne la victoire des valeureux enseignants qui ont fait mordre la poussière à des femmes machiavéliques, adversaires invétérées de l'auteur de "La clique des Simard à Paul Desrochers", qui appliquaient le principe immoral de «la fin justifie les moyens» et qui faisaient partie de la clique libérale de Ste-Anne-de-Sorel. Elles ont contredit sans aucun doute possible le discours féministe  sur l'exercice du pouvoir par les femmes qui seraient meilleures que les hommes. 
Vous leur avez donné une leçon d'humilité et d'humanité. Vous avez refusé de vous laisser asservir et de vous soumettre.  Votre expérience est une belle illustration de ce que disait le stratège et homme d'Etat athénien Périclès: «Il n’est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage». Et j'ajouterais qu'il n'est point de bonheur sans littérature et sans Montaigne.  Si  j'avais lu "Soumission" de Michel Houellebecq avant d'écrire ce prologue, je ne l'aurais sans doute pas terminé de façon aussi solennelle.  
Vieux-Longueuil, 7 octobre 2015 
tout en douceur

Ce récit raconte ce qui s'est réellement passé dans un collège du Québec avec des personnes qui ont vraiment existé. Quand le récit des faits ne suffit pas à donner accès à la réalité, la fiction intervient.  D'où la nécessité de transformer une personne réelle, la directrice d'un collège, en personnage fictif qui fait des confidences.  Lire ce livre, c'est comme conduire une voiture hybride avec un moteur qui a comme carburants, de l'essence et de l'électricité et qu'un logiciel fait passer de l'une à l'autre source d'énergie tout en douceur.  Au lecteur de décider du régime de sa lecture, référentiel ou fictionnel.  Ces notions m'ont été utiles  pour écrire une thèse de doctorat à l'Université Laval sur "l'espace autobiographique de la fiction" que j'ai réussie malgré l'incompétence de mon directeur de thèse et grâce aux bons conseils  de Jean Marcel qui lut et commenta le brouillon de ma thèse. Il me conseilla de lire l'essai de Kate Hamburger, "Logique du récit".  Ce livre fut décisif.

Notons que les personnes impliquées dans l'action ne sont pas des individus isolés mais agissent au sein de personnes morales comme un syndicat d'enseignants ou la direction d'un collège.  Avec la présence lourde et coûteuse en argent et en temps du monde de la justice: code civil sur le devoir de loyauté d'un employé envers son employeur mais aussi des devoirs de l'employeur envers son employé, convention collective signée par les deux parties mais  appliquée différemment, poursuites en diffamation, avocats, juges, arbitre de griefs ou arbitre au Tribunal du travail. Ce recours belliqueux des deux côtés aux instances juridiques montre la difficulté et la quasi impossibilité du dialogue amical. Le conflit a été dur et anxiogène.  Comme nous l'a appris le docteur Camille Laurin, on appelle idiosyncrasie, les caractéristiques particulières d'un individu ou d'un peuple. Chez les belligérants, il y avait des idiosyncrasies fortes et opposées. Réduire les oppositions à des conflits de personnalités serait toutefois une grave erreur à ne pas faire. Certes, il ne faut pas dramatiser mais il ne faut pas minimiser non plus. C'est du passé mais c'est une expérience riche en émotions que l'auteur voulait revivre en la décrivant. Je crois que ça valait la peine.  


introduction     

A Jean Marcel, professeur à l'Université Laval de Québec 
 l'auteur se présente

Bons souvenirs soyez les bienvenus: vous êtes ma jeunesse lointaine. Au parc Lafontaine. Le baseball. Les immenses peupliers odoriférants de l'automne. Mes grands-mères. Le parc Robin. Le train est en marche de Montréal à Pointe-Calumet. On est en 1948. C'est l'été.  J'ai  dix ans. Je me  colle le nez contre la vitre du train en marche et je regarde. J'entends le ronron régulier et rassurant du train.  Heureux de voyager, je vois le paysage, les champs de blé d'Inde, les vaches, les chevaux, les percherons costauds et leurs fesses rondes, les maisons de campagne, les légumes dans les jardins, les granges spacieuses, les tas de fumier, le clocher des églises, les arbres comme dans les peintures de Marc-Aurèle Fortin, les fleurs comme chez Renoir et Van Gogh, la pluie qui commence à tomber, le lac des Deux Montagnes. J'aime la pluie qui tombe. Tout m'intéresse, pour moi rien n'est banal. Ma curiosité est immense. Je veux tout voir. Tout ce qui existe me captive et contribue à ma joie de vivre.  J'apprécie sans réserve le cadeau de la vie.  

Comme Bernanos dont j'ai beaucoup aimé le "Journal d'un curé de campagne", je  n'ai pas oublié ce petit garçon  que j'ai été  dans le train vers Pointe-Calumet. Ou dans l'autobus vers le parc Belmont avec ma mère et les savoureux sandwichs au Paris-pâté accompagnés d'une bouteille d'orange Crush. La prison de Bordeaux, à Rivière-des-Prairies, m'impressionnait beaucoup avec son dôme qui me rappelait celui de l'Oratoire St-Joseph.  Les barreaux des fenêtres du vaste édifice me rendaient triste.  Moi, je jouais librement dans le parc Lafontaine.  Je courais vite, très vite. Dans les festivals, je gagnais des courses de vitesse et les prix, un bâton de baseball, un gant, une balle, une médaille. Mon père, grand amateur de baseball, me félicitait. Ma mère aussi était contente toujours fière de son fils Robert. Un peu trop et mon frère Gaston devait en prendre ombrage.  Je mangeais bien, mes grands-mères m'aimaient; elle m'avaient gardé chacune quatre ans. Ma mère  m'amenait tous les samedis de l'été au parc Belmont et, plus tard, au chalet de Pointe-Calumet. J'aimais l'école. J'étais un enfant heureux. Un vrai p'tit gars batailleur, sportif et studieux. Dans la rue Brébeuf, au hockey bottine, j'étais Maurice Richard, je comptais des buts et, Gilles Parent, mon meilleur ami, était Elmer Lach, il me faisait de belles passes. C'était le bonheur total entre les immenses bancs de neige. Au baseball, mon modèle était l'arrêt-court des Royaux de Montréal, Bobby Morgan.  C'est pourquoi on m'appelait Bobby puisque moi-même, je jouais à l'arrêt-court.  Mon père avait des billets de saison de baseball et il m'amenait régulièrement voir jouer les Royaux de Montréal au stade De Lorimier, coin Ontario, les dimanches après-midi avec des programmes doubles. Le lanceur gaucher Tom Lasorda. Les noirs Dan Bankhead et Sam Jethroe. Le géant premier but Chuck Connors frappeur gaucher qui envoyait la balle sur l'édifice Knit-to-fit où travaillait ma mère: elle cousait des boutons sur les vêtements d'enfants. Le deuxième but Rocky Bridges et le petit gaucher Al Gionfriddo qui patrouillait le chant gauche. Bobby Morgan était l'étoile des arrêts-courts de la ligue et fut le  meilleur joueur de l'année 1949. Le champ droit, George Schmees, puissant frappeur gaucher qui frappait des coups de circuit sur la Knit-to-fit! Le troisième but, Don Oak.  Quand les arbitres arrivaient sur le terrain, mon père criait: "Two blind eyes!": ça me gênait ce rejet violent et public des arbitres, cette semence d'anarchisme. Salut Rodger Brulotte.

Quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le doigt. C'est  ce proverbe chinois  que le Littéraire (c'est le surnom de l'auteur) mettra au tableau aujourd'hui. Hier, c'était une citation de Montaigne: plus le singe monte haut dans l'arbre, plus il montre son cul  en présentant des excuses aux jeunes filles en fleurs pour la vulgarité du mot. Les Soreloises firent la moue: nous prend-il pour des pudibondes!  Quant aux filles de cultivateurs, c'était  carrément l'indignation. Il pourrait utiliser le mot sans que des élèves portent plainte mais on ne sait jamais, il y a les parents, les mères surtout, qui font des téléphones à une direction qui présente une oreille très réceptive et ça elles le sentent. Ah oui, il a dit ça! On ne s'habitue pas à vivre  parmi les rocs occultes et parmi l'hostilité:  on prend une respiration profonde et on tient bon en maugréant. Et on se dit, tant pis, il faut que je gagne ma vie. Des femmes liées au Parti libéral avaient des postes de cadres dans son collège.  Et lui, il était dans le camp adverse. Cela avait des conséquences: un mauvais climat, de la méfiance, du stress, de la délation des licheux de culs, des coups de cochon, avec des périodes plus ou moins longues de répit. Beaucoup d'hypocrisie. Dans le département de français, ça manigançait. Le maniganceux n'allait pas à la cheville du Littéraire en littérature, en pédagogie et en popularité, telle était l'opinion du Grammairien, professeur de cinéma qui avait écrit une grammaire, c'était un minutieux. Il lui dit: "Tu ne te rends pas compte, lui, il a étudié un an en lettres tandis que toi tu as un doctorat. Les élèves comparent.  C'est pour ça qu'ils ne veulent pas que tu donnes de cours dans le programme d'Arts et lettres dont ils sont les gourous." Ce jour-là, le Littéraire remercia le Grammairien: il comprit pourquoi son ennemi était envieux et hypocrite.

En se réveillant, le Littéraire pense tout de suite à la visite qu'il fera à la secrétaire du la Directrice générale, ronde, affable et sympathique  pour déposer un ajout de quatre points à l'ordre du jour du prochain conseil d'administration du collège. Il énerve la directrice qui a toujours peur de perdre le contrôle mais il veut obtenir des informations sur le budget et sur l'international qui n'apporte pas de  revenus et qui occasionne des dépenses somptuaires en voyages en Afrique du Nord et en Côte d'ivoire avec escale à Paris...

Vers six heures trente du matin, (à l'aube comme disent les poètes) surtout vers la fin de sa carrière, ça le forçait de se lever. Ses nuits étaient coupées par deux visites aux toilettes donc il rêvait rarement car il lui fallait six heures de sommeil d'affilée pour que le rêve survienne. Si vous voulez tout savoir, c'est à cause de l'hypertrophie bénigne de la prostate (HBP): son urologue de médecin, laconique, lui avait dit: elle est grosse. Il avait perdu  la majesté du jet.  Sa femme restait couchée et l'invitait à mettre une chemise propre. Il savait qu'il la retrouverait le soir toujours fidèle à ses côtés. Il y a un plaisir à partir à cause de la certitude du retour. Il obéissait et mettait dans sa poche de chemise du côté coeur un peigne,  des fiches, plans de cours, numéros de téléphones et trois stylos, deux à l'encre bleue et un à l'encre rouge pour l'évaluation, fondement suprême du pouvoir de l'enseignant. Comme d'habitude, il était à la dernière minute, mais il arrivait toujours à l'heure en classe pour le cours de 8 heures.  L'adjoint au directeur des études surnommé Grand pied avait fait exprès pour lui donner des cours à 8 heures du matin, lui qui habitait à Longueuil à 68km du collège situé à Tracy. Vous n'avez qu'à déménager disait le subtil  Adjoint qui faisait les horaires, fondement de son pouvoir. Il  avait reçu pour mandat de la directrice  d'alourdir sa tâche en lui donnant un horaire sur cinq jours, et un horaire écartelé: un cours à huit heures du matin et un autre cours à 3 heures de l'après-midi. Il n'avait rien à faire entre dix heures trente et trois heures; il était loin de son lit où il aurait pu faire une sieste avant le cours de l'après-midi. Il ne pouvait quand même pas aller au Chenal-du-Moine tous les jours. Il avait voulu faire un échange de cours avec une collègue qui, elle aussi, avait un horaire sur cinq jours et qui demeurait à Longueuil elle aussi. Mais la demande fut refusée par le Directeur des études, complice de la Directrice. La direction ne respectait pas un article de la convention collective sur la conciliation travail-famille.   Quand  l'adjoint cadre Grand Pied fut opéré au coeur (il souffrait d'arythmie), de retour de l'hôpital, il lui demanda si les médecins n'en avaient pas profité pour l'opérer au cerveau. Il avait oublié les leçons de Dale Carnegie dans son livre que l'abbé  Jules Desrosiers lui avait passé à seize ans: Comment se faire des amis pour réussir dans la vie


Dans la cuisine, il prenait le verre avec des petites vaches dessus, il versait du jus de pamplemousse rose froid ou du jus d'orange Tropicana,  puis il se faisait des rôties pain français qu'il mettait dans une assiette avec du fromage fort Riviera et une grappe de raisins rouges qu'il déposait sur le siège du passager de l'auto à sa droite et il partait en Renault 30 (puis en Honda Civic, puis en Honda Accord): rue Ste-Elizabeth dans le Vieux-Longueuil, rue St-Thomas restaurant l'Incrédule à cause de saint Thomas, rue St-Charles vers l'est, vers Pratt et Whitney Canada, moteurs d'avion où travaille Luc Charbonneau, gardien de la tradition des patinoires extérieures, vers la 132, circulation dense avant le pont tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine et l'autoroute 20 Jean-Lesage, puis tout roule vers Boucherville, à Varennes virage à droite vers la 30, autoroute peu achalandée, Verchères, Contrecoeur, Tracy: 42 minutes d'auto à 120 km à l'heure,  68 km,  parfois musique de Bach ou de Jimi Hendrix, "Hey Joe",  et au retour, à la radio, l'émission du docteur Pierre Mailloux, psychiatre, pour entendre des propos parfois instructifs et quand ça piétine ou que le docteur s'impatiente et devient désagréable et arrogant ce qui lui arrive régulièrement, surtout quand une mère se plaint de son fils qui prend de la drogue, les drogués sont tous des menteurs, tu fermes la radio. 

Pendant trente-six ans, à trois ou quatre jours par semaine (avant l'horaire pourri sur cinq jours, forme de harcèlement), pendant 34 semaines par année (deux sessions de 15 semaines plus une semaine d'examens, plus une semaine de réunions diverses), faites le calcul, ça en fait des kilomètres. Mais à chaque jour suffit sa peine. Dire qu'à dix minutes de chez lui se trouve le collège Edouard-Montpetit où ses quatre enfants, deux garçons, deux filles, ont étudié. Les écoeurants disait sa vieille tante Françoise (décédée à 92 ans) comme si un complot avait été tramé contre lui. Elle avait de longues mains qui rappelaient une sculpture de Rodin.

Le long de l'autoroute 30, l'explosion des couleurs de l'automne, les vents en diagonale de l'hiver, les cabanes à sucre et les amélanchiers en fleurs du printemps (et du docteur Ferron), les geais bleus en couple surgissant de la forêt, un raton laveur  ou une mouffette écrasée ici et là, ça sent la Heineken, le confort du moteur V6 Renault-Peugeot-Volvo puis de la technologie japonaise. Arrivé en classe à huit heures deux, au tableau, il écrit: Quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le doigt (proverbe chinois). Après avoir donné un travail à ses élèves, répondez en équipe de deux à dix questions sur un des quatre chapitres de la Princesse de Clèves, il descendait à la cafétéria quelques minutes prendre le café du matin en lisant le Journal de Montréal surtout les nouvelles du sport, abondantes. (Déception quand le Canadien perd.) 

Tout était sous contrôle, c'était la belle vie avec trois mois de vacances pour jouer au golf et faire du camping familial tous ses cours étant préparés avec les notes à photocopier et à passer. Après trente ans, sa réputation était faite. Personne n'aurait osé essayer de l'écoeurer. On craignait ses remarques satiriques. Par exemple, pour ne pas qu'elle prenne froid,   il avait offert son débardeur en laine à une jeune fille qui était entrée en classe le nombril à l'air et la craque des fesses visible; un étudiant aux cheveux bleus se fit demander: Est-ce que c'est l'Halloween? A un autre, un Libanais, son père vendait des fruits et légumes,  qui le taquinait à propos de sa dernière coupe de cheveux de sa coiffeuse préférée (sa femme), il demanda: quand vas-tu me poser une question sur le Misanthrope?  Tout roulait.  Avec un minimum de cours magistraux donnés surtout en fin de processus après un effort des élèves pour lire et comprendre. Les élèves les plus brillants l'aimaient et l'appréciaient.  Ce qui ne veut pas dire qu'il négligeait les plus faibles mais il ne les accablait pas comme un certain collègue qui les méprisait à cause de leur intérêt pour le sport (prononcé à l'anglaise) la mécanique et  les chars. Qu'il repose en paix dans sa Beauce natale lui qui trouvait banal, pauvre lui,  le Rivage des Syrtes de Julien Gracq et qui aimait donner des cours privés de français écrit en faisant du cuisse à cuisse avec de belles grandes filles, presque des femmes, maquillées et parfumées. Comme les bureaux étaient à aire ouverte, on était les témoins de cette comédie mais ce n'était pas du harcèlement puisque les filles étaient consentantes. Ah! le pouvoir du crayon rouge.

Pendant ce temps, dans les bureaux, plus ou moins utile,  un monde parallèle à l'enseignement s'affairait. Dans une atmosphère d'obséquiosité,  les secrétaires préparaient les ordres du jour de réunions diverses et la paperasse, procès-verbal, documentation, propositions à être adoptées. Les cadres essayant de justifier leur existence se mettaient en frais d'encadrer les enseignants à coups de plans cadres. Ces anciens professeurs devenus cadres étaient jaloux de la liberté des enseignants. Leur marotte, c'était le contrôle. Avec des réunions qui les occupaient, commission pédagogique, harmonisation des plans d'étude, journées pédagogiques qui nous faisaient perdre notre temps.  Ces réunions étaient peu utiles la preuve en fut faite un jour qu'une cadre tomba malade et fut absente pendant deux mois. On plaisantait en disant: est-ce que son absence a changé quoi que ce soit aux activités normales d'enseignement dans les classes? Pendant ces deux mois, le Littéraire remarqua qu'on ne voyait plus personne passer dans le corridor pour l'espionner.  

Dans un collège du Québec situé dans la région du Bas-Richelieu sur la Rive-Sud du fleuve St-Laurent,  il peut s'en passer des choses.  Surtout si ce collège public est dirigé comme si c'était une entreprise privée par une femme ambitieuse qui aspire au pouvoir absolu et qui prend des moyens douteux pour étouffer toute contestation. La directrice générale exigeait qu'on soit toujours d'accord avec ses projets. Or ses projets avaient souvent des conséquences sur  les conditions de travail des enseignants car les ressources qu'elle accaparait augmentaient la tâche des enseignants. Un syndicaliste digne de ce nom ne pouvait évidemment pas la laisser sévir. Devant cette espèce de Louis Quatorze en jupon, il pensait à Nicolas Fouquet dépouillé de son château de Vaux-le-Viconte qu'il a visité lors d'un voyage en France. Des enseignants compétents, diplômés et syndiqués ne peuvent se soumettre à une petite-bourgeoise de Ste-Anne-de-Sorel qui se croit supérieure aux autres parce qu'elle et ses amis ont de l'argent.  Cette arrogance de l'argent: il fallait que tout soit rentable pour donner l'image d'une bonne gestionnaire. C'était écrit dans le ciel qu'il y aurait des affrontements avec cette femme d'affaires qui a tenté d'administrer un collège comme une business.  

De ces affrontements, il est question dans ce livre qui traite des huit dernières années de ma vie d’enseignant, de 1997 à 2005 dans un collège  auquel je donne le nom de collège Germaine-Guèvremont pour rappeler le refus de certains Sorelois de changer le nom du collège. Dans ce collège, j'ai enseigné la littérature française et québécoise pendant trente-six ans, de 1969 à 2005; j'ai  exercé souvent la fonction de coordonnateur du département de français et fait partie de l'exécutif du syndicat des enseignants, ce qui m'enlevait quelques cours à donner, on appelle ça du dégrèvement.  Au lieu de terminer ma carrière d'enseignant tranquillement, en paix, j'ai eu à combattre une directrice générale  qui  a poursuivi le syndicat en diffamation pour des sommes de 80,000 dollars et de 170,000 dollars. Ces folies judiciaires ont  coûté en frais d'avocat 50,000 dollars au collège et 25,000 dollars au syndicat. Sans oublier les pertes de temps et d'énergie.  C'était payé cher pour satisfaire les tendances autocratiques d'une directrice.  

Nous, c'est le syndicat donc tous les enseignants et moi, je suis le Littéraire. C'est mon surnom.      Cette femme mûre d'assez belle apparence, impérieuse, m'as-tu vu, surnommée Sa Majesté ou la Reine du décorum est la co-vedette de ce livre. On l'a même appelée Ubu Reine. La directrice générale n'a reculé devant aucun moyen, deux poursuites en Cour supérieure et plusieurs actions de harcèlement qui seront décrites, pour  nous dominer et nous contrôler.  Selon le principe machiavélique de la fin justifie les moyens.  Elle nous a placés dans une situation de tension continuelle pendant sept ans. Nous en avons fait autant pour elle qui n'a pu jouir un seul instant de son pouvoir, pouvoir tout relatif puisqu'il s'agit d'un petit collège de région mais pouvoir quand même.  L'avenir de l'humanité n'était certes pas menacé par ses stratagèmes, mot devenu à la mode suite au rapport Duchesneau sur  la corruption dans l'industrie de la construction. L'industrie de la corruption, selon le lapsus célèbre commis par Jean Charest, premier ministre du Québec de 2003 à décembre 2012. Et qui a été la principale cause du mauvais climat politique régnant sur le Québec pendant dix ans; il était encore premier ministre au moment où ces lignes ont été écrites, le 4 juin 2012, en pleine crise causée par le refus des étudiants universitaires de l'augmentation de droits de scolarité de 82%, crise qui a été aggravée par une loi spéciale (le  projet de loi 78 devenu loi 12) déposée le 17 mai 2012 à l'Assemblée nationale.  

Le règne de Sa Majesté fut un échec. Ubu Reine a subi la défaite. Nous raconterons les principales péripéties de cette guerre que nous avons gagnée.   

Chaque action de harcèlement de La Reine du décorum fut suivie de contre-attaques qui l'ont neutralisée. Le syndicat des enseignants a répliqué aux deux Slapps (strategic lawsuit against popular participation),  deux poursuites-bâillons (de 80,000$ et 170,000$) par des griefs, une plainte au Tribunal du travail et des menaces de poursuites en diffamation contre la directrice générale qui fit l'erreur de nous traiter par écrit de menteurs. Il peut être intéressant de vérifier si c'est bien vrai que nous avons gagné. Le lecteur sera juge: cela mettra un peu de suspense dans sa lecture. Car la directrice contesterait ce jugement. Comment une notable, une personne de sa qualité, si dévouée et si bien intentionnée pourrait-elle perdre contre des mécréants dans notre genre !    

Nous décrirons le conflit dans une optique plutôt ludique car c'est stimulant de se battre malgré les inquiétudes et le stress que des actions sournoises ont provoqués. Et c'est plaisant d'écrire même s'il est irritant de se rappeler des coups bas, des mensonges et des hypocrisies des adversaires.  Que la distance du temps permet de voir très clairement, ce qui provoque nécessairement de la colère. Des coups de pied au cul se sont perdus.  On parle en particulier du manque de franchise et de loyauté de collègues ( le mot collègue est un épicène, c'est-à-dire qu'il implique le féminin et le masculin: ici, il faut lui enlever toute connotation fraternelle).  

Des écrivains et surtout Montaigne, l'auteur des Essais, nous ont accompagné dans cette lutte pour la liberté d’expression contre l’autocratie et la bourgeoisie dans une petite ville située au Québec à 70 km à l'est du Vieux-Longueuil, sur la Rive-Sud de Montréal, dans la région du Bas-Richelieu où il y a encore des chasseurs et des cultivateurs comme ceux qui sont décrits dans les romans de Germaine Guèvremont qui sont des chefs-d'oeuvre de la littérature universelle et dont les personnages sont de beaux exemplaires d'humanité, en particulier le Père Didace, le Survenant et Angélina, mais aussi d'autres femmes, l'Acayenne et Phonsine qui s'entredéchirent dans Marie-Didace, un roman qui se termine par la mort suspecte de l'Etrangère d'une crise cardiaque à qui Phonsine a servi du ragoût de boulettes interdit par le médecin et qu'elle ne devait pas manger. L'Etrangère que Phonsine appelait la morue.

A l'adresse des étrangers  qui liraient ce livre, pour comprendre l'âpreté de ces luttes qui ont duré huit ans, il faut savoir qu'il y a ici au Québec une question nationale non réglée. Les oppositions  des belligérants sur la situation du Québec datent des années 70, année de la crise d'Octobre où un ministre libéral est mort suite à un enlèvement. Et en 1995, les indépendantistes disent que le deuxième référendum sur la souveraineté-partenariat fut volé comme l'a montré l'essayiste Robin Philpot dans son essai: Le référendum volé. Cet arrière-fond politique a envenimé de façon souterraine un conflit qui s'est déroulé dans un collège auquel nous donnons le nom fictif de collège Germaine-Guèvremont, nom qui  a été rejeté par certains Sorelois qui ont refusé l'honneur d'être associés au plus grand écrivain de l'école du terroir: ils n'ont pas compris l'honneur et le privilège qu'il y avait à être associé au nom de Germaine Guèvremont. Ils pensent comme Grosgras Provençal ou Amable Beauchemin: le Grand-dieu-des routes est pour eux une ramassure des routes, une plume au vent, un coureux de chemin, un fend-le-vent, un beau marle.  
Pendant huit ans, ce fut la guerre.  Montaigne écrit dans ses Essais dans le livre 1, au chapitre 47: 
Il fait dangereux assaillir un homme à qui vous avez ôté tout moyen d'échapper que par les armes; car c'est une violence maîtresse d'école que la nécessité.
Cela décrit bien la situation où nous avons été placé par la Reine du décorum et par la clique de Ste-Anne-de-Sorel pendant huit ans. En effet, il n'y avait pas d'autre possibilité que la guerre. Nous n'avons pas eu le choix. Ou bien on s'écrasait et on était humilié et je prenais ma retraite, ou bien on prenait les armes, on se défendait et on attaquait pour se faire respecter. Car comme l'écrit Montaigne, c'est  une violence maîtresse d'école que la nécessité. Et, en effet,  il fait dangereux assaillir un homme à qui vous avez ôté tout moyen d'échapper que par les armes.   

aire de repos

Parlant du cadeau de la vie, rappelons la phrase de saint Paul entendue à la messe:  Qu'as-tu que tu n'aies reçu et pourquoi t'en glorifies-tu comme si tu ne l'avais pas reçu!  (1 Cor 4,7) Cette phrase-clé  me protégera contre l'autosatisfaction imbécile et contre ce que les Trappistes de l'abbaye d'Oka, disciples de saint Bernard, appelaient l'orgueil de la vie.



Il fit cette réflexion profonde: qu'un  homme auquel on paye à dîner est un homme à moitié dompté.  ( Jules Renard, Journal, La Pléiade, Gallimard) (En référence au dîner (le déjeuner pour les Français) payé par la Directrice lors d'une rencontre avec l'exécutif du syndicat des enseignants qui nous a précédé.)

Il était rusé et fourbe comme un renard et il avait le nez long.

(Remarque faite le 16 juillet 2011 à propos du notaire Joseph-Alphonse Ferron, le père de l'écrivain Jacques Ferron, par monsieur Réal-Maurice Beauregard, fin causeur et hôte célèbre du gîte le Carrefour à Louiseville, maison habitée jadis par la famille de Jacques Ferron.) 

mise en route du moteur avec Montaigne, Joyce et Audiberti

Montaigne
Ceux que la fortune a fait passer la vie en quelque éminent degré, ils peuvent par leurs actions publiques témoigner quels ils sont. Mais ceux qu’elle n’a employés qu’en foule et de qui personne ne parlera, si eux-mêmes n’en parlent, ils sont excusables s’ils prennent la hardiesse de parler d’eux-mêmes. (...) Je ne veux pas qu’un homme se méconnaisse, ni qu’il pense être moins que ce qu’il est.   (Montaigne, Essais, II, 17, 1592)
Joyce
Les faits parlaient d’eux-mêmes. Il réfléchissait aux égarements des personnes de distinction et des gens en vue qui sous leur apparence policée battaient en brèche la morale, les femmes surtout. Et pour tirer parti de cette heure dorée, il se demandait s’il ne lui arriverait pas quelque chose qu’il pourrait mettre par écrit. Il fallait trouver quelque chose qui sorte des sentiers battus du genre Ce qui m’est arrivé ou ce qui s’est passé au collège Trinity.  (James Joyce, Ulysse, 1914-1921)
                                    
Jacques Audiberti

Certains écrivent des livres, beau travail. D'autres les lisent, leur travail non plus n'est pas négligeable. Lisant ce petit livre, elle mettait, à poursuivre sa lecture, une intensité créatrice analogue à celle de l'auteur. Elle qui n'avait jamais rien écrit, à part les lettres banales à l'adresse de la famille, elle savait qu'elle finirait ce livre dans la même retentissante, silencieuse explosion de délivrance et de fierté que l'auteur quand, lui-même, un jour, il l'avait fini.
(Jacques Audiberti, Le Maître de Milan, L'Imaginaire, Gallimard, Paris, 1950)
Au lecteur comme dans Perdants magnifiques de Leonard Cohen

Lecteur, lectrice,  merci d’être venu à ce livre et de porter votre attention à ce curieux ouvrage. C’est un livre qui ne ressemble à aucun autre. Pour citer Montaigne, c’est un fagotage de diverses pièces. Je fais partie de ces hommes de qui personne ne parlera, si eux-mêmes n’en parlent. L'auteur des Essais a raison d’écrire : Je ne veux pas qu’un homme se méconnaisse, ni qu’il pense être moins que ce qu’il est. De la même manière, l'écrivain québécois Jacques Ferron regrettait que trop de ses contemporains se sous-estiment, gardent le silence par excès de modestie et nous privent de leur expérience. 
Je ne garderai pas le silence. Je vais donc parler de mon expérience des huit dernières années de ma vie d'enseignant. Les mêmes faits sont présentés mais à des points de vue différents. Ces répétitions apparentes ne vous dérangeront pas si vous lisez ce livre en cinq ou six séances de lecture.  Avec l’espoir quand même de ne pas trop vous bâdrer (bâdrer : mot québécois utilisé par ma grand-mère Gervais et qui vient du mot anglais bother, embêter, don’t bother me, ne me dérange pas). Je vais traiter de temps en temps de politique, sujet difficile en milieu rural et en milieu semi urbain comme l'est une petite ville de 30,000 habitants comme Sorel.  Mais il n’y a qu’à regarder les fréquentations des uns et des autres pour savoir où logent les protagonistes de cette histoire. La question nationale québécoise non résolue  divise les Québécois en deux camps opposés; au travail,  cela pèse sur les relations interpersonnelles. Je sais que Stendhal a écrit que la politique dans un roman c'est comme un coup de feu pendant un concert. Mais je n'écris pas un roman même si un être proche prétend que c'est ce que j'aurais dû écrire. Elle préfère un récit suivi qui porte le lecteur sur la main plutôt que ma technique de la mosaïque qui procède par fragments et qui fait travailler le lecteur.
Il faut situer dans un contexte d’oppositions politiques souvent occultées ou niées ce qui s’est passé à mon collège entre 1997 et 2005, là où il a fallu défendre la liberté d’expression et la liberté syndicale. Ce n’est pas tous les jours que des enseignants reçoivent la visite surprise du huissier (oui, ça existe les huissiers dont parlent les comédies de Molière), de bonne heure le matin (ça commence mal une journée) et sont menacés de payer des frais juridiques de dizaines de milliers de dollars et des amendes de 80,000 $ et de 170,000 $ pour diffamation et atteinte à la réputation. C’était la première fois au Québec, sauf erreur,  que la Direction d’un collège gaspillait 50,000 dollars de fonds publics en honoraires d’avocat pour faire taire un syndicat, intimider un enseignant et le pousser à la retraite. Et aussi, pour exercer une vengeance politique. Cela sort de l'ordinaire. Ces poursuites, c'est une forme d'abus de pouvoir pour imposer une sorte de dictature. Cela méritait bien un récit qui sera l'occasion de décrire les méthodes utilisées par des gens qui pratiquent la règle  de la fin justifie les moyens.  La responsable de ces poursuites-bâillons est cette femme qui, malgré son apparence policée, battait en brèche la morale. Comment expliquer de tels excès de la part d'une notable qui se souciait de l'apparence et qui tenait à sa réputation de femme respectable? Comment se fait-il que ces cadres féminines ont renoncé à leurs bonnes manières pour déclarer la guerre à un syndicat et à un enseignant? Une bonne façon de répondre à cette question est de décrire  ces poursuites-bâillons qui sont une forme d'intimidation et de violence judiciaire. Cette description provoquera sans doute le mécontentement de ces femmes qu'on croyait respectables. Mais quand on fait l'erreur de s'attaquer à des enseignants pugnaces qui savent écrire, il faut s'attendre à ce qu'il y ait des conséquences et que de mauvaises actions ne disparaissent pas dans l'oubli. 
Au départ, convenons que sur chaque question litigieuse, il y a au moins deux points de vue. Par exemple, vous l’avez sans doute remarqué, je viens de parler de poursuites-bâillons et de vengeance politique. C’est un jugement de valeur sur la nature des poursuites que nous avons subies et sur leur motivation. Mais pour notre adversaire, ces poursuites n’étaient certainement pas des poursuites-bâillons : elles étaient justifiées à cause d'une action syndicale qui la contrariait beaucoup et aussi, pour des raisons politiques plus larges. C’est une matière qui porte à controverse. De même, nos adversaires qui étaient de sexe féminin n'admettront jamais, même sous la torture, que leurs motivations étaient politiques.  Je le dis une fois pour toutes : quand je porte des jugements, c’est mon opinion et la plupart du temps celle du syndicat dont j’ai été le principal porte-parole.  J’ai quand même le droit à mon opinion. Cette opinion, c'est aussi celle d'un grand nombre d'enseignants. Mais je donne aussi droit de cité à une autre opinion. L’opinion contraire est longuement et clairement exprimée dans le chapitre intitulé les Confidences d’une femme trahie.  J’ai été le plus honnête qu’il était possible de l’être dans les circonstances. Le lecteur aura donc tous les éléments pour juger par lui-même. Et il ne s’en privera pas, je l'espère.  En tout cas, il y a de bonnes chances qu'il ne reste pas indifférent.
Le chapitre C'est la faute à Montaigne où j'exprime mon point de vue rapporte des faits objectifs ainsi que le chapitre intitulé Gibelotte qui donne des précisions sur le vocabulaire, les circonstances et les personnages. Les faits parlent. On ne peut douter des faits qui sont appuyés sur des documents irrécusables qui sont publiés à la fin du livre, en annexe, comme information complémentaire. C’est pour cela que cet essai n’est pas un libelle diffamatoire. Je ne suis pas emporté par une haine qui me pousserait à proférer des calomnies inspirées par des jugements téméraires. La réalité suffit. Pas besoin d’en remettre. Il s'agit tout simplement de bien la décrire et de laisser au lecteur le soin de conclure.
Dans un petit collège de la Rive-Sud de Montréal, en 2001, des enseignants ont été poursuivis deux fois pour diffamation d'abord par le directeur des études soumis aux ordres de la directrice générale puis  par la directrice générale  elle-même qui a accusé le Littéraire de l’avoir traitée d’alcoolique. Ces deux poursuites sont des faits. Il est de notoriété publique que je me suis opposé, avec d’autres, aux projets de la directrice. Cela lui a déplu. Quand on veut diriger, on écarte les obstacles. Or, j’ai été un des obstacles. (Les libéraux de la région avaient déjà essayé de me faire perdre mon emploi en 1972-1973 et ils avaient échoué; cela est raconté dans un livre publié en 1973: De la clique des Simard à Paul Desrochers…en passant par le joual et repris dans La fin du mépris (1978).  En 2001, dans le même esprit,  on voulait me pousser à la retraite et on poussait pas mal fort. Un peu trop fort, si vous voulez mon avis.
Pour affirmer son autorité, la directrice devait donner un exemple. Des disputes éclatèrent au grand jour. Il n’était pas question de me retirer, de prendre ma retraite, mes jours ne paraissant pas en sécurité parce qu’on voulait ma peau et qu’on ne regardait pas sur les moyens. Je ne cédai pas. Je me fis un point d’honneur de faire face.  Avec l'appui du syndicat des enseignants. J’ai pris ma retraite en juin 2005, un an après la retraite de la directrice. J’aurais pu prendre ma retraite sans perte actuarielle trois ans plus tôt car j’ai atteint le facteur 90 (âge (64) plus les années d’expérience (36) en 2002. J’aurais alors eu comme pension 70% de mon salaire. Avec l’appui d'une forte majorité des membres du syndicat, je lui ai tenu tête. La solidarité a été presque sans faille; la vraie solidarité pratique et efficace, c'est réconfortant et ça prouve que, parfois, on a raison d'être idéaliste. Cette solidarité, nous avons travaillé fort pour l’obtenir car elle n'est pas tombée du ciel et ne nous a pas été donnée gratuitement. Il a fallu faire beaucoup d’information auprès de nos collègues; exercer du leadership; être diplomate. Or, la diplomatie, vous vous en doutez,  ce n'est pas mon fort.  Il a fallu avoir l'appui de  certaines personnalités influentes dans tout le collège. A cause de son entêtement et parce qu'elle croyait avoir toujours raison, la directrice a fait des erreurs et a subi plusieurs défaites. On peut en faire l'énumération.  Elle a perdu sur les modalités de l'examen de reprise; elle a perdu sur la cafétéria qu'elle voulait privatiser; elle a perdu sur le financement de nouvelles voies de sortie dans certains programmes; elle a perdu sur l'utilisation des casiers des enseignants pour transmettre de l'information; elle a perdu sur une tentative de chasser le Littéraire du Conseil d'administration du collège; elle a perdu sur la coupure de nos salaires de 2.5% pendant trois mois de plus que ce qui avait été convenu au niveau national; elle a perdu sur la surveillance de la présence des enseignants dans leurs classes;  sur la collaboration des enseignants à l'élaboration d'un plan stratégique; sur la présence des enseignants aux activités sociales que nous avons boycottées: partie de sucre, tournoi de golf, bal masqué, fête de Noël; sur la publication du Huissier, organe d'information syndicale. En d’autres temps et si elle avait été un homme, je l’aurais convoquée en duel comme dans les romans d'Alexandre Dumas. Je me serais comporté comme d'Artagnan ; le sang aurait coulé et j’aurais réglé son cas une fois pour toutes. Chez elle, de semblables désirs homicides ont été transformés en poursuites et en harcèlement. Par les Confidences d"une femme trahie, je lui ai donné la parole. Tout le monde comprendra que ce n'est pas par générosité; c’est pour pouvoir mieux la contester. Et pour que vous sachiez à qui nous avions affaire. Vous aurez l'occasion d'aller au-delà des apparences.
Quand j’étais jeune, j’ai regardé pendant plusieurs années à la télévision les épisodes hebdomadaires du télé-roman Le Survenant. Montréalais, enfant du Parc Lafontaine dans la paroisse de l'Immaculée-Conception tenue par des Jésuites, puis de la paroisse Ste-Catherine d'Alexandrie, (plus tard, cette église a été démolie), jamais je me serais imaginé enseigner dans la région du Chenal-du-moine. Pendant trente-six ans, j’ai eu l’occasion de me promener en auto le long du Chenal-du-Moine entre deux cours à l’heure du midi surtout à l’automne et au printemps en revoyant des scènes du Survenant ou de Marie-Didace. C’est un paysage qui m’est devenu familier. C’est ma façon de voyager. De la même manière, je me suis retrouvé près de la Loire, avec ma conjointe, à St-Florent-le-Vieil, à l’hôtel de la Gabelle, à côté de la maison de Louis Poirier alias Julien Gracq ou dans la librairie des Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy à Paris, en 1965, pendant mon voyage de noces ou dans la librairie de José Corti qui était assis derrière un bureau et à qui on pouvait parler et qui souriait quand on lui disait : Comme ça, c’est vous qui êtes l’éditeur de Julien Gracq, je suis honoré de vous saluer. Je me sens privilégié que le hasard m’ait conduit à respirer le même air que le père Didace Beauchemin (joué à la télévision par Ovila Légaré). Je me souviens d’une excursion dans les méandres du Chenal-du-Moine sur le bateau d’un collègue professeur d’électrotechnique surnommé l’Ingénieur. Le vent était frais, le moteur grondait et le bateau fendait les flots. Le soleil faisait éclater les couleurs d'un paysage d'automne. Etaient présents les principaux acteurs de cette histoire. Sous les cris familiers des outardes en formation, nous avons abordé un quai qui nous a menés au restaurant Chez Marc Beauchemin  tenu par une de mes étudiantes adulte où, accompagnés d’un vin blanc servi froid, après une bonne bière froide, nous avons mangé avec appétit de la gibelotte traditionnelle pleine de saveurs marines. Avec un gros oignon blanc coupé en tranches sur la table. Ce fut un repas mémorable et un grand moment d’amitié. 
***
Lecteur (lectrice), je vous remercie de l’intérêt que vous portez à ce livre. Votre intérêt démontre une générosité téméraire bien que touchante de votre part. Et une forme d’idéalisme que je vous encourage à ne jamais perdre.
Ce livre a été écrit pendant plusieurs saisons de ce climat tempéré dont jouit le Québec, pendant que la neige ou la pluie tombait, ou sur une table à pique-nique ombragée par un érable à l’île Dupas où habitent les parents de mon député Bernard Drainville, ou près d’un lac tranquille, le lac Langis non loin d’Amqui dans le chalet d’une amie ou pendant l’été des Indiens. Il a été écrit pendant les chaleurs de l’été, en buvant un jus de pamplemousse rose sur la glace, dans l’atmosphère rafraîchie par de l’air climatisé dans un grenier d’une maison plus que centenaire du Vieux-Longueuil, entourée d’une cinquantaine de sortes de fleurs,  grenier d’où on peut voir au loin le pont Jacques-Cartier et les feux d'artifice et entendre les cloches de l’église saint Antoine-de-Padoue et, plus près, en plongée, des arbres et un jardin où poussent des tomates rouges, des tomates roses, des haricots jaunes, des betteraves, des oignons blancs, des carottes, des concombres et du basilic, de la marjolaine, du romarin et du persil, tout ce qu’il faut pour faire une bonne gibelotte ou une bonne soupe italienne. Comment ne pas croire en la vie et en la jardinière en voyant ces légumes qui poussent et qui repoussent d’année en année en pleine ville et qui se retrouvent sur notre table ou qu’on partage avec nos quatre enfants qui habitent pas loin de chez nous. 
Ce livre est une mosaïque. On peut regarder un tableau sous différents angles : ce qui compte, c’est la vue globale, la vue d’ensemble. 
Lecteur, lectrice, j’espère que je ne vous aurai pas fait perdre votre temps. Depuis le début de ma retraite comme enseignant en mai 2005, l’écriture de ce livre est une entreprise plutôt ludique qui m’a occupé pendant dix ans, m’a tenu en éveil et m’a stimulé en même temps que j’écrivais des textes politiques (plus de 940 textes et des dizaines de commentaires sur les textes des autres) suscités par l’accueil  de Bernard Frappier (qu'il repose en paix!), le webmestre de Vigile.Québec qui a accepté de publier sur sa Tribune libre, en vingt feuilletons, une version de La Gibelotte et autres essais.  
A la fin de la rédaction de cet essai, je dis mission accomplie. J’avais quelque chose à dire et je l’ai dit. Je me sens libre comme Andy Dufresne (Tim Robbins), évadé de prison, à la fin du film The Shawshank Redemption. Après 36 années passées à enseigner la littérature au même collège, je me suis désinstitutionnalisé. Sur le bord de la mer, Andy Dufresne passe du papier sablé sur son bateau et voit au loin son ami Red (Morgan Freeman) qui a enfin obtenu sa libération de prison et à qui il a donné rendez-vous.  Ils se donnent l’accolade. C’est la dernière scène du film. Leur sourire est inoubliable. La mer, les vacances, la liberté conquise, l’amitié, qu’est-ce qu’on peut demander de plus ! Une rencontre semblable a eu lieu l'été chez notre ami le syndicaliste et professeur de socilogie Daniel Lussier à St-Thomas-d'Aquin non loin de St-Hyacinthe peu de temps avant sa mort d'une crise cardiaque.
Loin des bureaux de la Direction du collège et  loin du Palais de Justice de Sorel où règnent mesquinerie, fourberie et appât du gain, tendons l’oreille au jacassement qui vient du ciel et suivons des yeux la chorégraphie aérienne et libre des outardes inaccessibles au fusil des chasseurs.
(Ce message s’inspire très librement de la préface écrite par Leonard Cohen à l’édition chinoise du livre Beautiful losers, (Perdants magnifiques), 1966).

aire de repos
Les faits parlaient d’eux-mêmes. Il réfléchissait aux égarements des personnes de distinction et des gens en vue qui sous leur apparence policée battaient en brèche la morale, les femmes surtout. (James Joyce) 

Tu te voulais tranquille et de tout repos 
ceint de clémence ainsi que le mélèze  
mais le malheur ébranla ton cerveau 
et se délabre ton rêve. 
(Gilbert Langevin)

Sur Youtube, une chanson de Julien Clerc Femmes je vous aime, le commentaire suivant:
A toi ma Patricia! Que Dieu te protège ma puce.